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BODY SUSPENSIONS

2015, un soir d'été, un parfum de légèreté. Sous le soleil qui faiblit, dans l'intimité d'une arrière cour, l'équipe Endorphins Rising est affairée. Ici, l'un·e déroule des cordages, tendant les voiles d'un chalutier aérien, tandis que là, d'autres s'affairent à orner un mat de fleurs pour mieux bercer celle qui va s'envoler, et qu'à proximité, aiguilles, crochets et compresses achèvent leur stérilisation avant d'animer la soirée. La future suspendue fume une cigarette un peu plus loin, sans remarquer les aller-retours de Stef Bloch, qui pour la première fois nous a rejoint.

Le son du déclencheur se fait lointain, lui qui ne perd pourtant aucun détail de nos gestes appliqués, de l'installation des matériels à nos premières palpations sur peau, des mots réconfortants aux regards complices en passant par les rires, inspirations fortes et expirations lentes, la grimace d'une seconde quand le pincement de l'aiguille se fait sentir, la chaleur du crochet inséré dans la foulée, l'hilarité confuse des premières effusions endorphiniques, puis de la valse qui accompagne l'ascension dans ses ondulations, les imperceptibles hésitations de l'intéressée quand sa peau entre en tension, son corps temporairement fragile, puis si vite irradiant quand l'élan laisse place au flottement, jusqu'à cette béatitude, cet abandon, et ce sourire qui gagne tous les gens présents.

Stef se faufile entre tous et toutes, capturant chacun de ces instants sans une seule fois détourner notre attention de la situation. Son œil se pose sur ces reliefs, ces expressions, ces connivences et cette énergie diffuse… que retranscrivent avec une rare qualité les clichés qu'il nous amène un peu plus tard, après des heures passées à trier, étalonner, recadrer, donner sens à cette narration, au travers de laquelle nous revivons, non sans émerveillement, ce qui se joue dans chacun de ces précieux moments en suspension.

Dans les mois qui suivent, Stef intègre notre famille et en partage tous les moments : de nos séminaires internationaux à nos ludicités sous-cutanées improvisées aux heures les plus indues, de réunions d'équipe à nos barbecues vegan du dimanche, de la pause clope entre deux tatouages chez MU à une distribution de flyers dans les bars d'une rue, de nos amours naissantes à nos ruptures et déchirements, de nos jovialités innocentes à nos catharsis les plus douloureuses à dévoiler. Avec, toujours, cette capacité à rendre compte des tendresses, des bienveillances, des doutes comme des évidences, de nos difficultés comme de nos transcendances.

De cette affinité naîtra notamment une première exposition, présentée à la convention de tatouage du Caire, faite de morceaux choisis, glanés au cour de ces nuits, matins, après-midi, imprimés dans le chaos des rues égyptiennes. Ces photos y captivent alors une audience pour qui piercing et tatouage - socialement acceptés ici - relèvent là bas de la transgression. S'y confirme l'intuition s'imposant au fil de notre collaboration : au delà de la douceur des gestes, de la force de l'accompagnement et de la passion que nous donnons collectivement à ces moments, élargir la portée de ce que nous faisons appelle ce pouvoir de captation et de retranscription sensible, dont Stef Bloch est l'un des premiers à nous avoir ainsi fait don.

Des images pour documenter, certes, mais aussi pour interroger, susciter trouble comme curiosité… voire inspirer et faire rêver ; Stef m'aura aidé à en apprécier la portée, et c'est avec un plaisir sans cesse renouvelé que j'invite la finesse de son regard à m'accompagner, dès qu'en surgit la possibilité !

 

Novembre 2017, Veg Silencio (MU Endorphins Rising)

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